Utiliser les avoirs russes gelés en Belgique pour aider l'Ukraine est conforme au droit international
- Collectif Pour l'Ukraine, pour leur liberté et la nôtre !
- il y a 6 jours
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Dernière mise à jour : il y a 6 jours
Tribune parue dans le journal Le Soir en date du 4 décembre 2025 sous le titre " Utiliser les avoirs russes gelés en Belgique pour aider l’Ukraine est conforme au droit international "
Comment financer l’aide à l’Ukraine ? La réponse a été donnée en mars dernier par 140 lauréats du Prix Nobel. Ils ont suggéré aux gouvernements détenteurs des actifs russes gelés « de débloquer ces fonds pour financer la reconstruction de l’Ukraine et l’indemnisation des victimes de la guerre afin que le pays puisse être rapidement reconstruit après la conclusion d’un accord de paix ». Une proposition allant dans ce sens est promue par la Commission européenne : un prêt de réparation de 140 milliards d’euros serait consenti à l’Ukraine, garanti par les avoirs de la Banque centrale russe bloqués depuis 2022. La Russie pourrait, en principe, recouvrer, une fois la paix signée, la propriété de ces actifs après avoir remboursé l’Ukraine, ce qui rendrait le prêt de réparations temporaire et réversible.
Lors du Conseil européen du 23 octobre, le Premier ministre De Wever s’y est opposé. La Belgique est en effet l’un des pays les plus concernés : une société belge, Euroclear, détient une grande partie des avoirs russes déposés en Europe, en l’occurrence 193 milliards d’euros. M. De Wever mettait en doute la légalité d’une telle mesure au regard du droit international et d’un contrat bilatéral passé par la Belgique avec la Russie. Par ailleurs, il refusait, non sans raison, que les risques d’une telle décision soient supportés par la seule Belgique.
Ses objections auraient dû être levées, le 24 novembre, par la déclaration de la Présidente de la Commission européenne, devant le Parlement européen. La proposition législative qui sera déposée au prochain Conseil européen (18-19 décembre), repose sur des bases juridiques solides, a-t-elle précisé. Et d’ajouter : « Je ne vois aucun scénario dans lequel les contribuables européens paieraient seuls la facture. » Le 27 novembre, M. De Wever a cependant confirmé son opposition, en avançant un nouveau motif : la proposition de la Commission serait de nature à perturber l’élaboration du « peace deal » en cours de discussion.
Il convient donc d’examiner la solidité de ses arguments, alors que le débat public est resté jusqu’ici très largement centré sur sa version et celle d’Euroclear.
Nombre de juristes ont depuis longtemps balayé l’argument de la supposée illégalité d’une telle mesure en droit international. En effet, la Russie a été reconnue par l’Assemblée générale des Nations unies comme responsable de l’agression contre l’Ukraine. Elle tombe sous le coup de ce que le droit coutumier international a codifié comme « responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite ». La licéité de la proposition est fondée sur cette codification, élaborée par la Commission du droit international de l’ONU, qui reconnaît aux Etats le droit de recourir à des contre-mesures en réaction à un fait internationalement illicite.
La demande du Premier ministre d’une mutualisation des risques peut se comprendre. Il ne serait ni juste ni soutenable que la Belgique assume seule d’éventuelles conséquences financières d’une décision européenne. En présentant la proposition législative ce 3 décembre, la présidente de la Commission a affirmé que pratiquement toutes les préoccupations de la Belgique avaient été prises en compte, avec des mesures de sauvegardes très solides. « Une chose est sûre, nous partagerons le fardeau de manière équitable, comme le veut la tradition européenne». D’autres pays européens non membres de l’UE pourraient d’ailleurs contribuer à garantir les risques.
L’un des principaux arguments consiste à affirmer que les banques centrales et les investisseurs perdraient confiance dans Euroclear, dans la Belgique, l’Union européenne et la zone euro. Cet argument mérite d’être nuancé. Les mesures envisagées ne visent pas des avoirs ordinaires, mais ceux d’un Etat reconnu comme responsable d’une agression armée par l’Assemblée générale des Nations unies. De tels « faits internationalement illicites » sont, heureusement, rarissimes ; les contre-mesures qui y répondent n’ont donc pas vocation à être généralisées. Deux agences de notation viennent d’émettre l’avis que la décision n’affecterait pas la notation des Etats européens.
On peut se demander si, en affichant publiquement la crainte d’un discrédit, on ne contribue pas davantage à nourrir cette inquiétude. Invoquer le risque réputationnel dans ce contexte reviendrait à soutenir qu’il faudrait renoncer à saisir les avoirs bancaires de trafiquants de drogue ou les produits de la corruption, au motif que cela pourrait inquiéter les autres clients sur la sécurité de leurs fonds. C’est exactement l’inverse : ce qui fait la réputation d’un système financier, c’est sa capacité à distinguer les avoirs licites des avoirs illicites et à traiter ces derniers dans le respect du droit.
Le nouvel argument avancé selon lequel une décision de l’Union européenne serait de nature à mettre en péril le « peace deal » pose d’autres types de questions. Le plan américain prévoit notamment que les avoirs russes gelés en Europe seraient tout simplement débloqués, comme si la décision appartenait aux deux seuls protagonistes du deal et que la Russie pouvait être libérée de toute obligation de dédommagement. Une telle conception reviendrait à faire supporter l’essentiel du coût de la reconstruction par les contribuables occidentaux plutôt que par la Russie.
Par ailleurs, rien ne permet d’affirmer que la Russie sortira victorieuse de la guerre, comme le soulignent des experts militaires. Conditionner la position européenne à un scénario aussi incertain reviendrait à affaiblir inutilement un important instrument de pression et à tourner le dos à un principe élémentaire de justice internationale : un Etat qui commet une agression ne peut pas espérer la paix à ses propres conditions, sans réparation pour les victimes.
Le texte de la proposition de la Commission n’est pas encore connu, mais il est temps qu’un débat contradictoire s’ouvre sur des analyses juridiques rigoureuses. Dès lors que la légalité de la proposition en droit international est établie et que la mutualisation des risques sera probablement actée, beaucoup des autres raisons d’inquiétude s’estompent. Il serait regrettable qu’en ne s’associant pas à la décision européenne, la Belgique perde de sa crédibilité en tant que soutien à l’Ukraine.
Signataires
Francis Biesmans - économiste-statisticien, Professeur émérite à l'Université de Lorraine
Samuel Cogolati, docteur en droit international et ex-coprésident d'Ecolo (Belgique).
Paul de Grauwe, Professor, John Paulson Chair in European Political Economy, London School of Economics and Political Science
Pierre Klein, professeur, Centre de droit international, ULB.
André Lange, ancien maître de conférences à l’Université de Liège et à l’ULB, ancien responsable de département au sein d’une organisation internationale, membre du Conseil d'administration de l'association Pour l'Ukraine, pour leur liberté et la nôtre !
Gérard Roland, auparavant E. Morris Cox Professor of Economics and Professor of Political Science à UC Berkeley et à l'Université libre de Bruxelles







