Mise en œuvre des sanctions européennes contre les médias russes : pourquoi l’Arcom est-elle si lente à réagir ?
- appelpourlukraine
- 6 mai
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 2 jours
Tribune parue dans Le Monde en date du 14 mai 2025, sous le titre « Les médias russes sanctionnés par l’Union européenne restent tous facilement accessibles en France, et l’Arcom ferme les yeux »
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Malgré les démarches diplomatiques en cours, l’agression russe contre l’Ukraine continue, avec sa barbarie désormais banalisée. Le caractère mensonger de la propagande poutinienne est plus évident que jamais : avant que le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, ne reconnaisse que les bombardements sur Soumy étaient bien le fait de l’armée russe, les principaux propagandistes du régime, les journalistes Margarita Simonian et Vladimir Soloviev, présentaient ce nouveau massacre comme une mise en scène ukrainienne.
Ils pratiquent ainsi le même négationnisme qu’après les crimes de Boutcha et il ne manque pas de voix en France pour répéter leurs propos odieux. Des formes d’ingérence assez spectaculaires ont fait la une : le recours à l’intelligence artificielle ou les opérations baptisées « Döppelganger » et « Matriochka », qui ont permis de répandre de fausses informations sur Internet en usurpant les identités visuelles de médias connus ou d’organisations.Des structures telles que Viginium, le service de vigilance et protection français contre les ingérences numériques étrangères (qui dépend du premier ministre), réussissent à les détecter, mais ne peuvent les bloquer.
Nous voudrions mettre en évidence ici un problème moins spectaculaire, mais plus inquiétant : le contournement, par les opérateurs français, des sanctions européennes contre les médias russes et le manque de diligence de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).
Depuis mars 2022, l’Union européenne (UE) a adopté deux types de sanctions : contre les services, d’une part, et contre les entreprises ou des individus, d’autre part. Les sanctions contre les services ont frappé, dès le 1er mars 2022, Russia Today (RT) et Sputnik. En juin 2022, l’Union européenne a adopté des mesures contre les chaînes en russe en Europe, RTR-Planeta, Rossia 24 et TV Centre. En décembre 2022 ont été visées les principales chaînes de propagande s’adressant au public russe, Rossia 1, Pervy Kanal, NTV et REN. L’opérateur de satellites Eutelsat les a appliquées. En revanche, les fournisseurs d’accès à Internet Orange, Free, SFR et Bouygues Telecom ne les respectent guère : il existe au moins quatre possibilités d’accéder, sans VPN, à RT en français. Quant aux sites et aux flux en streaming des chaînes en russe sanctionnées, ils restent tous facilement accessibles de plusieurs façons. Ni les fournisseurs d’accès, ni les moteurs de recherche (tels que Google, Qwant et Bing) ne les bloquent.
L’Union européenne a sanctionné les entreprises de médias russes à partir du 1er décembre 2022, visant les principaux groupes (VGTRK, NMG, ANO TV-Novosti, Rossia Segodnia), puis, en 2023, d’autres structures telles que Zvezda, société de diffusion de l’armée russe, SPAS Telekanal, la société de diffusion de l’Eglise orthodoxe (qui présente l’invasion de l’Ukraine comme une croisade contre l’Occident dégénéré) ou encore Tsargrad, le groupe de l’ultranationaliste Konstantin Malofeev. Cela implique le gel des capitaux, mais aussi celui des ressources économiques, ce qui signifie l’interdiction de fournir des moyens de diffusion.
Les autorités françaises n’ont fait respecter ce deuxième type de sanctions qu’à deux reprises. En février 2023, la direction générale du Trésor a gelé les capitaux de la société RT France, ce qui a conduit à sa mise en liquidation. Plus récemment, le 21 mars, l’Arcom a mis en demeure Eutelsat de cesser la diffusion de deux chaînes du groupe NMG. Le principe juridique, maintes fois rappelé par la Commission européenne, est pourtant simple : les sanctions sont d’application immédiate, leur mise en œuvre ne nécessitant aucune transposition ni mesure d’exécution nationale.
Un devoir de diligence
Les Etats membres ont simplement un « devoir de diligence » : veiller à ce qu’elles soient correctement appliquées. C’est donc à tort que les opérateurs prétendent avoir besoin d’une décision de l’Arcom pour bloquer la diffusion d’un service, comme le dit à demi-mot l’autorité publique, dans sa mise en demeure du 1er mars. Elle y affirme bien que la diffusion des chaînes de groupes sanctionnés « méconnaît les dispositions » des sanctions européennes.
Il a fallu attendre le 8 mai, d’après le site LyngSat, pour que onze chaînes des groupes NMG et VGTRK quittent enfin, en toute discrétion, le satellite Eutelsat 36D. Comment est-il possible qu’Eutelsat ait pu ignorer les sanctions contre ces groupes pendant plus de deux ans ? Ce retard dans le respect des sanctions est d’autant plus choquant qu’Eutelsat refuse l’accès à ce satellite au bouquet Svoboda, de Reporters sans frontières, lequel propose douze chaînes d’information russophones indépendantes du Kremlin.
Les fournisseurs d’accès à Internet ne font pas mieux : la plupart des sites et flux des chaînes sous sanctions restent accessibles, sans VPN. On se tromperait gravement en évaluant l’impact de cette propagande de guerre à partir du seul critère des données d’audience. Diverses études montrent que les sites des chaînes sanctionnées sont consultés par les propagandistes, qui en recyclent les contenus sur les réseaux sociaux.
La lenteur de l'Arcom
L’Arcom n’a elle-même pas fait d’excès de zèle à l’égard des opérateurs peu empressés. La loi SREN, promulguée le 1er mars 2024, lui a pourtant donné des compétences nouvelles et des moyens d’action, tant en ce qui concerne les opérateurs de satellites que les opérateurs d’Internet. Or, après un rappel à l’ordre de l’Assemblée nationale, le 2 mars, l’Arcom s’est contentée d’une décision minimaliste, fermant les yeux sur les multiples contournements constatés. Prendre des sanctions sans réellement les faire appliquer pourrait n’avoir d’autre effet que de fournir un prétexte aux mesures de rétorsion russes qui, elles, sont bien réelles.
Contrairement à ce qu’affirme la propagandiste poutinienne Xenia Fedorova, ancienne directrice de RT France et aujourd’hui collaboratrice du Groupe Bolloré, les bases légales des sanctions européennes existent bel et bien. Elles ont été confirmées par la Cour de justice de l’Union européenne dès juillet 2022. Alors que la Russie ne cesse de renforcer ses pratiques de guerre hybride, de propagande et de désinformation, il paraît urgent que tous les opérateurs français et l’Arcom prennent leurs responsabilités.
Tribune à l'initiative de :
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Tribune portée par :
Julien Bayou, avocat à la Cour
Thibaut Bruttin, directeur de Reporters Sans Frontières
André Lange, co-fondateur et coordinateur du Comité Diderot
Nathalie Loiseau, eurodéputée (Renew), présidente de la Commission Bouclier démocratique européen du Parlement européen
Claude Malhuret, sénateur (Horizons), vice-Président de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ancien ministre
Tristan Mattelart, professeur en communication internationale, Institut français de Presse
Laurent Mazaury, député (UDI), rapporteur de la Résolution de soutien à la défense de l’Ukraine.
Jean-Pierre Pasternak, président de l’Union des Ukrainiens de France
Olga Prokopieva, directrice de Russie-Libertés
Sylvie Rollet, présidente de Pour l’Ukraine, leur liberté et la nôtre
Boris Vallaud, député (PS), président du groupe Socialistes et apparentés à l'Assemblée nationale
Premiers signataires
Christophe Arend, ancien président du bureau Assemblée parlementaire franco-allemande
Antoine Arjakovsky, historien, directeur de recherche au Collège des Bernardin
Rachel et Daniel Barnon, Sleeping Giants France
François Béchieau, conseiller de Paris, Adjoint au maire du 19ème arrondissement
Michel Caillouet, ancien Ambassadeur EU
Dider Coureau, professeur des universités en études cinématographiques Université Grenoble Alpes
Françoise Daucé, directrice d'études à l'EHESS
Lucien Doljac, professeur à la retraite
Pierre Duculot, producteur audio-visuel
Ksenia Ermoshina, chargée de recherche, CNRS
Geneviève Goëtzinger, ancienne Directrice générale RFI, Présidente ImaGGE
Isabelle Kersimon, Autrice
Olivier Koch, Maître de conférence à l'Université Sorbonne Paris-Nord
Jean-Paul Lefebvre, Conseiller municipal de Noisy-le-Sec
Olivier Mannoni, essayiste, traducteur littéraire
Marie Mendras, universitaire
Arnaud Mercier, professeur en Information-Communication à l'université Paris-Panthéon-Assas
Bernard Miège, professeur honoraire de sciences de l'information et de la communication
Vittoria Massimiani, traductrice littéraire et de l'édition ; idéatrice et réalisatrice d'éditions italiennes
Guillaume Sauzedde, réalisateur du film « De ma fenêtre – Carnets de Lviv »
Jean-Pierre Renollaud, conseiller élu des Français de l'étranger
Pierre Raiman, historien
Dominique Varma, Romancière, productrice et réalisatrice pour le cinéma et la télévision
Associations
Club de la Presse, association de journalistes, Strasbourg
Annick Bilobran, présidente de l'Advule
Sophie Bouchet-Petersen, secrétaire générale d'Ukraine CombArt
Mykola Cuzin, président du Comité Ukraine 33
Frédéric Dejean, sylviculteur, membre de Pour l'Ukraine, pour leur liberté et la nôtre !
André Klarsfeld, Normalien, secrétaire-adjoint de Pour l’Ukraine, pour leur liberté et la nôtre !
Tetyana Lyubchyk, Présidente de l'association Ukraine-Grenoble-Isère
Elisabeth Godart-Benard, Psychanalyste, membre du conseil d'Administration de Pour l'Ukraine, pour leur liberté et la nôtre!
Bertrand Lambolez, Directeur de recherche, Institut de biologie, Paris, Conseil d'Administration de Pour l'Ukraine, pour leur liberté et la nôtre !
Gérard Lauton, universitaire (UPEC)
Florent Murer, président, Association Kalyna
Patrick Puges, polytechnicien
Pierre Raiman, historien, co-fondateur de Pour l'Ukraine, pour leur liberté et la nôtre !
Nataliya Shevchenko, présidente de l'association VILNA.UA
Zalina Steve, membre du comité consultatif de Russie-Libertés
Charles Tiné, président d'ONG humanitaire en Ukraine
Signatures citoyennes :
Liste à jour en date du 21 mai 2025, 15h00, UTC +1.
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